Nativité

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lundi 19 décembre 2016

mardi 28 juin 2016

In memoriam Maurice G. Dantec (1959-2016)


« Un liquide brûlant se répandit sur son front,
pénétra à l’intérieur de lui,
consuma tout ce qu’il y avait à consumer,
rendit au néant tout ce qu’il n’aurait pas dû être,
et le laissa nu, comme un nouveau-né,
dans l’aura absolue de ce qu’il était devenu. »

Baptême de Sergueï Plotkine,
Cosmos incorporated, p. 525


Maurice Georges Dantec est mort le samedi 25 juin 2016 à Montréal d’une crise cardiaque. Il était l’un des écrivains français (devenu canadien) les plus lus dans le monde. C’était un écrivain chrétien qui se sentait de plus en plus mal à l’aise dans le monde globalisé ultra-moderne. Dans ses derniers ouvrages l’auteur du roman Les racines du mal était de plus en plus à la recherche d’une voie de salut pour l’humanité. Sa pensée néo-gnostique était peu prise au sérieux et il en souffrait. Il y a quelques années, pour tenter de remédier à cette injustice, j’avais décidé d’écrire une brève analyse de son œuvre et je lui avais envoyée.  Après l’avoir lue, il m’avait encouragé à la publier. Mais j’avais préféré alors attendre un peu en attendant de l’enrichir.

L’annonce de son décès me pousse à publier cet article sans prendre le temps de le modifier substantiellement. Pour un dernier hommage et comme témoignage de ma vive reconnaissance.


Maurice G. Dantec, polémiste génial et insupportable

Dans quelques dizaines d’années les historiens de l’avènement de la nouvelle identité chrétienne œcuménique ne manqueront sûrement pas d’établir des convergences entre les outrances de la pensée de Maurice Georges Dantec, les penseurs néo-gnostiques comme Annick de Souzenelle, et le prophétisme d’un Olivier Clément ou d’un Rowan Williams, tous acteurs du renouveau chrétien contemporain.

Homme du XXIe siècle, Dantec nous renseigne sur les potentialités insoupçonnées d’un christianisme trans-moderne mais aussi sur le renouveau, étonnant et inquiétant à la fois, de la pensée gnostique. Dantec tout d’abord était un écrivain, un vrai. La plupart de ses romans ont été publiés à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires par de grandes maisons d’édition.[1] Bien qu’il ait été critiqué de toutes parts, personne n’a contesté véritablement le talent littéraire de cet écrivain à la plume fleuve (chacun de ses romans compte au moins 800 pages !). Dantec a inventé un nouveau style littéraire dit ‘transfictionnel’ entre polar et traité théologique, science-fiction et roman philosophique. L’héritier de Proust, de Deleuze et de la science fiction américaine (Dick, Ballard, Spinrad,…), a mis une croix sur la narrativité classique, pour la substituer par un récit « schizo-critique »[2]. Les frontières entre l’auteur, ses héros, ses modèles, ses lecteurs ont explosé. L’auteur, chez Dantec, n’est plus « présent partout mais visible nulle part » comme chez Flaubert. ‘La réalité objective et la réalité subjective (je devrais dire les réalités), écrivait Dantec, sont contiguës, coévolutives, enclavées l’une dans l’autre, au sein de ces mondes interfaces, artificiels et thaumaturgiques des mass média, ces technologies de séduction et de destruction dans lesquelles nos consciences semblent pouvoir survivre, quoique avec beaucoup de difficultés. »[3]

Cette narration étrange creuse jusque dans les profondeurs du nihilisme, qu’il considérait comme diabolique, du monde contemporain. Les relations entre les personnages, comme dans Villa Vortex, ne sont plus des rapports de production mais des ‘rapports de rapport de destruction’.[4] Mais Dantec, lecteur de la Kabbale, parvint aussi à s’approcher des plus grands mystères de la corporéité méta-individuelle, lorsque le ‘je secret’ s’efface pour faire jaillir le Verbe, lorsque la trinité de l’écrivain, de l’Artefact (transubstantiateur intime) et du lecteur s’unissent dans une noce planétaire. « Tout homme vit dans une trinité hypostatique, écrit-il, car s’il est fait à l’image de Dieu, il est fait à l’Image des Trois Personnes, et comme dans la trinité divine, la trinité des hypostases humaines conduit au mystère même de la singularité individuelle, indivisible, et qui divise tout, cette synthèse disjonctive qui opère tel un réseau de coupures, une ‘machine’ singulière entre les trois personnes hypostatiques. Le cerveau est trinitaire. »[5]

Dantec fut aussi un auteur polémique, un Vassili Rozanov des lettres françaises, qui craint plus que tout le monde moderne. Il suffit de lire les ouvrages de Charles Taylor pour se convaincre qu’il y a bien aujourd’hui un malaise de la modernité caractérisé par la crise de la raison instrumentale déchaînée, l’asphyxie existentielle face au désenchantement du monde, et la violence croissante du narcissisme contemporain.[6] Certains intellectuels en tirent comme conclusion que le temps est venu de s’abandonner au libertinage. D’autres cherchent à s’en prendre au capitalisme post-libéral avant même d’avoir remis en question, selon Dantec, leurs propres responsabilités dans la furie communiste du XXe siècle. La plupart s’accommodent de cette situation en prônant un néo-athéisme héroïque fondé sur les dernières vertus encore présentes, celles de l’authenticité et de la sincérité. A tous ces ennemis, représentés essentiellement par les milieux gauchistes révolutionnaires devenus quinquagénaires bourgeois médiatiques (Dantec n’hésitait pas, qui plus est, à donner des noms : Jean-François Kahn, Eric Hobsbawm, Noam Chomsky, etc…) – sans compter les thuriféraires du capitalisme marchand -, Dantec disait : ‘Je suis vivant et vous êtes morts’.[7]

Dantec ridiculisait ces milieux décadents et/ou apôtres d’un « discours lénifiant et humanitaire qui invoque sans cesse l’intégrité, la transparence, le naturel et l’authenticité » mais sans remettre en question les fondements de notre civilisation mortifère. Ces gens là, écrivait-il, ne souhaitent que ‘le calme plat du désert télévisuel publicitaire, des raves humanitaires et des parades techno, ce désert qui croît autour de nous à la mesure de notre expansion, et dont nous sommes si fiers’.[8] Mais Dantec fit un pas de plus lorsqu’il assura que les tenants de la matriarchie postrévolutionnaire, les théoriciens de la ‘liberté sexuelle’, avaient une responsabilité terrible : la marche quasi-inéluctable du monde, - à moins d’une conversion sans conditions au Christ -, vers une guerre civile planétaire.

Mal à l’aise en France, où il a été taxé d’écrivain d’extrême gauche puis d’extrême droite[9], ce Léon Bloy de la post-modernité a choisi de s’exiler en 1998 à Montréal au Québec. Mais là -bas aussi il a été accueilli avec dédain par l’intelligentsia locale (formée selon Dantec à l’école de ‘la libération nationale-sociale crypto-marxiste’). Effaré par le siècle du « bédouin » Oussama Ben Laden, de l’homo festivus et de Thierry Ardisson – l’un des symboles pour lui de la décadence de la télévision française -, Dantec situa certains de ses romans vers la fin du XXIe siècle afin d’ouvrir les yeux de ses lecteurs éberlués sur l’apocalypse en cours de formation.

Maurice G. Dantec, écrivain chrétien et gnostique

Mais Maurice G. Dantec, écrivain gnostique, était aussi aimanté par l’Eglise comme l’Epouse de l’Agneau, comme la femme vêtue de soleil qui apparaît à la fin des temps dans le livre de l’Apocalypse. D’une certaine façon on pourrait dire que sa conversion au Christ fut l’un des signes annonciateurs de la fin de l’ultra-modernité. Se pourrait-il que cette époque ‘globale’, ‘bio-politique’,[10] New-Age, violente, convulsive, cataclysmique puisse devenir un jour une époque ‘œcuménique’, trinitaire, eucharistique ?

Pour Dantec les hommes d’aujourd’hui, ‘ces petits hommes terminaux’, avaient une vision du Christ ‘qui ferait pleurer de misère les auteurs de Bécassine’.[11] Les post-humains, ‘sursinges instruits’, sont donc réduits à se fabriquer eux-mêmes des religions à la carte, dans un méga-marché composé des rayons scientologie, catholicisme, Moon, orthodoxie orientale, Hare Krishna, etc... Or, selon lui, le Christ n’est pas venu apporter la tranquillité du Grand Inquisiteur, ou comme on dirait aujourd’hui la sérénité de la ‘méditation sexo-zodiacale’, mais le Glaive, le Saut absolu. C’est pourquoi ‘le Christ est un météore Terminator d’une haute dangerosité pour notre société (im)monde’.[12]

Certes Dantec fustigeait ‘l’œcuménisme panthéiste baba cool des épiscopats modernes’[13] lorsqu’ils en viennent à oublier le différend théologique de base entre le Coran et les évangiles. Mais la thèse du pape Benoît XVI à Ratisbonne affirmait précisément que ce goût retrouvé de la Vérité permettra à nos sociétés d’éviter le choc des civilisations et de retrouver un dialogue profond et inter-dynamique avec les courants les plus spirituels des grandes religions. Il aurait suffi simplement à Dantec d’ajouter à sa radicalité, si proche de celle des auteurs de Radical Orthodoxy,[14] des paroles de patience, de paix et d’amour, et à sa foi de feu, un enracinement dans la Tradition ecclésiale, patristique et post-confessionnelle…D’ailleurs Dantec n’hésitait pas non plus à dire qu’il est un ‘catholique d’avant les schismes’, et que la seule issue pour l’Europe et pour le Monde aujourd’hui se situe dans ‘la réunification méta-critique du christianisme’. Dantec rêvait de l’avènement d’une 4e Rome qui intègre les 3 premières, afin de faire surgir ‘l’avènement du Corps-Christ au sein de l’Homme’.[15]

Entre 1986 et 2001 la modernité comme paradigme de civilisation, déjà mise à mal par les camps de la Kolyma et de Ravensbrück dans les années 1940, est entrée dans les derniers spasmes de la mort. Après Tchernobyl, la chute du mur de Berlin, la révélation des crimes du passé, - comme dans le film La vie des autres (2006) sur le système d’espionnage qui régnait en Allemagne de l’Est à l’époque de Honecker -, l’idéologie communiste, fruit du rationalisme moderne, a perdu toute légitimité. Mais les attentats islamistes du 11 septembre 2001 aux USA, l’entrée la même année de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce, le refus des Etats-Unis de ratifier les accords de Kyoto… ont également conduit à une prise de conscience ‘globale’ que c’est toute la gouvernance mondiale qui est à revoir, et donc tout le droit international, soit l’un des principaux piliers de la pensée moderne. Nous sommes donc entrés dans une période post-moderne, ‘globalisée’, complexe, inter-dépendante, ultra-violente, dans laquelle les coordonnées de l’espace, du temps, et de la conscience ont pris une nouvelle configuration. Cette époque n’est déjà plus caractérisée par la séparation claire de la foi et de la raison, par l’exil de la toute puissance transcendante, et par l’instauration tranquille du droit dit ‘naturel’.

Pour prendre ce dernier exemple, comme l’écrit Mireille Delmas-Marty, professeur au Collège de France, à l’époque moderne ‘la raison universelle restait du domaine des idées et le droit du domaine des pratiques. Le droit, essentiellement relatif, pouvait ainsi rester attaché à la souveraineté de chaque Etat. Cette conception inspire aussi le droit international classique, attaché à une stricte égalité entre Etats souverains.’[16] Mais avec la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948, l’instauration progressive d’un droit d’ingérence dans les affaires d’un Etat souverain, la médiatisation des tortures pratiquées par les Etats et la création d’un Tribunal Pénal International (soit le désir de rendre normatives les valeurs universelles), le relativisme du droit positif a commencé à s’effriter. A sa place un droit ‘constructiviste’ inspiré de Habermas et de Rawls prend forme. Non pas fondé sur le droit de l’Etat le plus fort, ni sur une vision unifiée d’un universalisme philosophique, il vise de façon pragmatique ‘un accord progressif à mesure que les questions concrètes se posent et que des solutions émergent au confluent des traditions les plus diverses, fût-ce au prix de malentendus provisoires’.[17]

Mais cette époque globale, multi-polaire, éclatée, sera aussi, selon de nombreux penseurs tels que le pape Benoît XVI, l’archevêque Rowan Williams ou Olivier Clément, de plus en plus caractérisée par une bi-polarisation principale entre pensées fondamentalistes et pensées relativistes, pensées séduisantes et pensées orthopraxiques, mais aussi entre pensées du Même (sans ouverture à la transcendance personnelle) et pensées de l’Autre (sans unité possible)[18]. Et c’est à mesure que le monde en prendra conscience que pourra se produire une synthèse cohérente, alliance post-idéologique entre la foi et la raison, redéfinition sapientielle du droit naturel, nouveau cycle politico-ecclésial fondé sur la responsabilité, le consensus contextuel et la mutualisation des biens.

                                                       

Maurice G. Dantec, un passeur entre deux époques ?

Maurice Dantec se situe entre ces deux époques, ou plutôt entre ces deux niveaux de conscience, c’est là ce qui le rend passionnant.

D’un côté il est un héritier du siècle des « Lumières ». Son père communiste lui a transmis très jeune son athéisme et sa fascination pour Youri Gagarine. Il est fasciné par les progrès de la science, tout en assimilant la technique, « manifestation de l’Opérateur ontologique de division infinie », au diable en personne. D’un autre côté Maurice Dantec, à la suite d’une longue quête personnelle marquée par sa participation à un groupe rock tendance punk, sa lecture de la Kabbale, d’Abellio et de saint Grégoire de Nysse, a demandé et reçu le 16 février 2004 le baptême dans l’Eglise catholique romaine de Montréal. Le résultat, c’est que Dantec, - qui demande immédiatement la réouverture du Saint Tribunal de l’Inquisition ! -, s’affiche comme « un catholique infréquentable », comme un hérétique du modernisme, comme un lecteur critique du Vatican II.

De même Maurice Dantec est terrorisé par le terrorisme islamiste. Il polémique à outrance ce sujet en plaçant tous les musulmans dans le même panier[19] et n’hésite pas à « punir tous les intellectuels pro-palestiniens d’un mois de vacances à Gaza ». Mais Dantec est aussi celui qui, porté par la radicalité de sa foi, n’hésite pas à appeler les choses par leur nom. Ayant depuis longtemps abandonné le laïcisme sectaire de la République Française à ses « Êtres suprêmes de pacotille », l’écrivain français est conscient que l’interdiction du port du voile dans les écoles de France n’est qu’une fragile ligne Maginot face à l’envahissement prochain de toutes les forces religieuses refoulées par notre modernité depuis Voltaire et Lénine.

Dantec est tellement fasciné par la violence, cette caractéristique la plus profonde de la pensée moderne selon John Milbank, qu’il n’hésite pas lui-même à imaginer les tortures les plus affreuses contre tous ces ennemis et à se solidariser avec Bush lors de la guerre en Irak (contre la position de la quasi-totalité des Eglises chrétiennes en Amérique). Dans son roman Les racines du mal il met en scène un tueur en série mal aimé par ses parents. Dans Villa Vortex il s’agit d’un tueur roboticien incarnation de la technique métaphysique. Dans Le Monde de ce Prince (Artefact), nouvelle la plus insoutenable de Dantec, l’auteur décrit des tortures abominables en citant Saint Jean : ‘Bien plus, l’heure vient où quiconque vous tuera pensera rendre un culte à Dieu’ (Jn 16, 2). Dantec, dont le christianisme est récent, ne s’est pas libéré de cette idée anti-manichéenne qu’on trouve dans la Kabbale, selon laquelle ‘l’Adversaire est aussi l’instrument du Dieu Unique et Absolu’.[20] On est loin de saint Jacques : « Dieu ne peut être tenté de faire le mal et ne tente personne. Chacun est tenté par sa propre convoitise qui l’entraîne et le séduit. » (Jc, 1, 14-15)

Mais Dantec est aussi l’un des rares penseurs à comprendre aujourd’hui que l’Apocalypse n’est pas un mythe pour théologiens érudits et marginaux. Elle est une réalité vivante, une composante essentielle de notre espace-temps. Aussi Dantec, le Dostoievski de la post-modernité, sait de quoi il parle lorsqu’il écrit que seul le pardon, ‘nom de la Grâce’, permet de se libérer de ce monde déchu et d’entrer dans le chronotope du Royaume. C’est pourquoi, combien même ses prophéties sont écrites sous l’emprise de toutes sortes de drogues, combien même la polémique entraîne souvent ses paroles au-delà de ses pensées, il convient d’écouter avec attention les propos de cet écrivain génial sur notre modernité, sur l’organisation du vivant, et sur la musique rock contemporaine.

                                                       

Le monde de la post-modernité chez Dantec


Fasciné par la série des films Matrix, disciple de Günther Anders, élève de Gilles Deleuze et de Guy Debord, lecteur de Barbey d’Aurevilly et de Léon Bloy, Dantec nous décrit le monde préparé par la post-modernité. Il n’hésite pas à nous raconter les meurtres les plus pervers de tueurs en série, les lâchetés les plus hideuses de la civilisation européenne face au monde islamiste, et les conséquences les plus dramatiques de la transformation de notre rationalité en pensée technologique. L’écrivain français considère tout simplement que ‘nous sommes probablement à la fin d’un cycle humain, analogue à celui qui se termina avec le Déluge’.[21] Aussi, comme aucun évêque en chaire aujourd’hui dans le monde, il appelle le monde en hurlant à se convertir au plus vite au christianisme.

Dantec est très certainement injuste et ultra-subjectif lorsqu’il traite de la société européenne contemporaine. Et pourtant on ne peut pas ne pas s’accorder avec lui que la violence des banlieues des grandes mégapoles de France atteint des sommets inégalés. Bien avant les flambées de violence des années 2006-2007, Dantec notait dans son journal des extraits de correspondance de jeunes des banlieues tirées de leurs sites internet (comme www.macite.net). Le résultat, difficilement compréhensible tant la langue utilisée est primitive, est hallucinant de violence, de vulgarité et de machisme.[22] Le pire est, comme l’écrit Dantec, qu’en « Ripoublika franska » aujourd’hui, aucune justice n’est rendue aux victimes de ces nouveaux Barbares de l’époque atomique.

De même son avis de décès de l’université française, morte avec la France entre 1940 et 1968, pourra paraître sévère. Il est difficile cependant de ne pas admettre que ses prophéties se réalisent sous nos yeux. L’Université française a banni tout enseignement du religieux de ses facultés (sauf dans quelques rares ilots comme à l’EPHE), et ses corollaires : amour de la liberté, goût du risque, sens de l’ascèse, désir de découverte, imagination, etc…. Tout esprit libre souhaitant enseigner à l’université aujourd’hui se doit absolument de suivre un cursus honorum aboutissant aux goulots sévèrement contrôlés par la Matrice des concours du CAPES et de l’Agrégation. L’Université a dû accueillir par ailleurs ces 30 dernières années des hordes d’étudiants (passage de 200 000 à plus de 2 millions d’étudiants) sans que les moyens pédagogiques et financiers n’aient accompagné ce passage (alors que la dette publique de la France en euros est passée elle de 130 milliards en 1975 à 2148 milliards en 2016 !).

Si bien que le système d’enseignement supérieur est devenu encore plus oligarchique en réservant à ses élites les grandes écoles, habilitées à organiser un concours d’entrée tout autant codé, et ultra sponsorisées. Les étudiants terrorisés par le chômage et ne disposant d’aucune ressource spirituelle capables de leur donner les vertus nécessaires sont eux-mêmes les plus hostiles à toute velléité de réformes que tente régulièrement l’Etat républicain pour se donner bonne conscience. Dantec le dit avec un humour mordant, l’université qui a fait du positivisme républicain son Livre saint, qui a érigé Auguste Comte, Charles Darwin, Andy Warhol et Sigmund Freud en nouvelles divinités tutélaires, et qui n’a proposé à la corporation de l’universitas comme seule forme de vie communautaire que les syndicats post-marxistes, ne pouvait pas ne pas en subir toutes les conséquences. «L’Université, écrit-il, sera peu à peu remplacée par une branche de l’industrie de l’art et des loisirs, la division spécialisée d’un consortium de musées, de zoos et de parcs à thèmes. Il sera interdit de lancer de la nourriture aux professeurs d’art et de philosophie ».[23]

Il y a du prophétisme chez Dantec. Les attentats du 11 septembre rôdent très tôt dans son œuvre. Dans son Laboratoire de catastrophe générale rédigé avant les événements il pressent le coup de force.[24] Le 11 septembre 2000 à 7h52, il note de Montréal son « irrépressible accès de larmes entrecoupé de pauses d’une mélancolie extrême (…) Je me dis que la Vierge Marie laisse échapper un chapelet de larmes sur son invisible visage. ». Dans Villa Vortex, rédigé peu après les attentats, il les intègre à la trame de son roman. Dans Vers le nord du ciel, ils constituent le noyau de son récit. Dans la tour du World Trade Center, à 8h46, l’Apocalypse a lieu. Les cavaliers se succèdent. Et le héros de Dantec, au nom de sa fille Lucy Skybridge, décide de lutter et parvient à s’extraire avec elle de la tour en feu. On apprendra plus tard qu’il s’agissait en fait d’un déséquilibré mental interné dans un Centre de recherche neuro-psychiatrique. Mais le récit a produit son effet. Pour Dantec les attentats du 11 septembre ne sont qu’un épiphénomène annonciateur d’un conflit bien plus violent entre la rationalité moderne et les assauts démoniaques de la déraison, et dont le fruit n’est autre que « la première guerre civile planétaire »[25].

C’est pourquoi Dantec ridiculise tous les journalistes post-soixante-huitards, tous les ‘sociologues du piercing’, prônant le fondamentalisme soft de la pensée relativiste. Ces journalistes du magazine culturel branché parisien les Inrockuptibles cherchent à le faire passer pour un dangereux extrémiste lorsqu’il appelle les chrétiens à réagir ensemble contre l’islamisme fanatique. Mais lui répond avec humour : « Il ne se passera rien de grave avec l’Islam au cours du XXIe siècle. Rien. La France est au mieux de sa forme, l’Europe va très bien-merci. Dormez en paix. Fermez la télé. Lisez les Inrockuptibles. »[26]

Dantec dépeint dans plusieurs de ses romans (Babylon Babies, Cosmos Incorporated, Grande Jonction,…) la société de ‘l’Human Being Incorporated’ à venir. La première caractéristique de ce nouveau monde c’est la toute puissance d’une nouvelle religion globale fondée sur un seul logo (on ne parle plus de dogme à l’époque de Google[27] et des cyborgs, ces hommes-machines truffés d’implants) : « UniMonde Humain : Un Monde pour Tous, Un Dieu pour Chacun, Univers Humain Uni ». Dans cet univers de l’UMHU règne la métastructure, ou Matrice, et son organe de contrôle médico-totalitaire, le Conseil de Vigilance Ethique. Dans Villa Vortex, Dantec ajoute que, malgré tout ce qu’on en a dit, les gnostiques ont gagné finalement la bataille des esprits. « L’hérésie était tout bonnement la plus puissante Eglise du monde ».[28] Difficile d’admettre cette nouvelle demi-vérité, même si on connaît les tirages du Da Vinci Code partout dans le monde.

La Matrice, Antéchrist postmoderniste, est selon Dantec, « le système d’intelligence méta-collectif de l’humanité-marchandise. Elle possède plusieurs avatars comme la Machine, sa configuration mécanique et socio-technique, l’Opinion, son relais médiatico-statistique, ainsi que « hyperpub.com, son bras transindustriel qui combine l’édition, la publicité, la télévision, le cinéma, les technologies informatiques, le câble, le téléphone, internet, l’espace satellitaire, le rock et la production de drogues récréatives. »[29] Lentement cette Matrice prépare le positivisme eugéniste et le traçage bio-technologique des individus. L’adoption en France en octobre 2007 d’une loi obligeant de passer des tests ADN obligatoires pour les regroupements familiaux d’étrangers n’a fait que confirmer une tendance de fond en Europe.

La Matrice n’hésite pas, si sa chaîne agro-alimentaire l’exige, à nourrir les bœufs de farine animale, et à obtenir au besoin un agrément de la Commission de Bruxelles. La Matrice favorise également l’émergence de « la figure androgyne et hermaphrodite d’un humanoïde social parfaitement asservi » à ses maternelles réjouissances.[30] Dantec prend l’exemple des campagnes de publicité de l’entreprise Benetton. L’idéologie de United Colors of Benetton, « à laquelle adhère désormais le Canada tout entier », met en scène un homme-femme post-moderne « tolérant tout et surtout l’intolérable, ne discriminant rien, donc restant dans l’incapacité de rendre la justice, ne sélectionnant rien, donc ne pouvant prétendre à aucune souveraineté, ne hiérarchisant rien, donc faisant fi de la véritable liberté, ne choisissant rien, sinon le relativisme absolu, donc la discontinuité hyperstable de la marchandise (…). »[31]

La seule puissance politique qui lui résiste encore au XXIe siècle sont « les Emirats islamiques d’Europe occidentale » et quelques enclaves comme le Vatican et un lieu désigné Grande Jonction en Amérique du Nord. Les esprits libres, comme par exemple l’un des héros vivants de Dantec, Mirko Djordjevic, un écrivain serbe orthodoxe, ne peuvent subsister qu’en se cachant dans des souterrains et en protégeant des « bibliothèques de combat ontologique ». Ils luttent en éduquant leurs enfants à lutter contre « la Dévolution, le mal incarné de la régression hyper nihiliste ».

Ils inventent aussi un érotisme aristocratique, théâtre d’une nouvelle beauté, réservé aux seuls amants du Royaume à venir. Les codes corporels sont la substance d’une culture nous dit Rowan Williams. L’archevêque de Canterbury partage l’analyse de Dantec sur la crise de la société moderne de plus en plus violente à mesure qu’elle se sur-érotise. Il écrit : « L’agacement devant ce qu’on prenait pour des conventions arbitraires, et la conviction caractéristique de notre temps, que chacun de nous a un moi caché dont il se doit de cultiver l’expression authentique, ont abouti à un étalage de barbarie et de chaos. Dans le domaine de la sexualité notamment, la disparition rapide des ‘codes’ s’est traduite non point par une liberté érotique paradisiaque, mais par l’avènement d’une société plus préoccupée voire obsédée de sexualité que la plupart des sociétés ‘pré-modernes’. Maltraitance enfantine, harcèlement professionnel, rendez-vous amoureux qui virent à la ‘tournée’, autant de marques d’une situation dans laquelle le ‘langage corporel’, comme nous l’appelions sans réfléchir, est incapable en réalité de servir de structure de communication parce que nous n’avons pas de sens commun (ni guère de sens tout court) de ce qu’est la sexualité. (…) Si mon corps veut dire ce que moi je veux qu’il dise, et votre corps ce que vous voulez qu’il dise, alors la peur d’un conflit entre deux systèmes de signification, étrangers l’un à l’autre et arbitraires, dans une rencontre sexuelle, sera d’autant plus grande. La confiance sexuelle, comme n’importe quel autre genre de confiance, comme le miracle social, disparaît. »[32]

Seule chez Dantec une métamorphose, ‘un méta-processus miraculant peut surgir pour venir briser le cycle de l’hyperstase marchande’. Or la grande découverte est la suivante : La machine est un réseau de coupures, rien de plus. C’est en se plongeant dans la profondeur de notre être, relié à la structure divine des Séphiroths, que nous parviendrons à la maîtriser. Car nous aurons retrouvé, via cette plongée dans notre néant opératif ou créateur, « instrument de coupures de flux », notre relation au Dieu vivant et à travers Lui, notre corporéité commune. Il ne restera plus aux héros de Dantec de riposter contre la dévolution : La Métastructure s’effondrera face au principe d’individuation de la matière.

Dans le langage des Pères de l’Eglise cela se disait ainsi : «  faire eucharistie en toute chose ».

                                                       

Les théories scientifiques dans l’univers de Dantec


Dantec, illuminé par le Livre des Séphiroths, par le gnostique français Raymond Abellio, mais aussi par toute une tradition patristique qui inclut Grégoire Palamas, dispose d’une proposition fascinante. Notre corps est voué à se transfigurer. Cet appel est inscrit au plus profond de nos gènes.

Cette thèse repose sur une pensée eschatologique. Pour Dantec l’instant t du Big Bang n’est pas le commencement du temps, il est plutôt le point de contact entre l’éternité et la temporalité telle que définie par Aristote, c'est-à-dire comme une succession d’instants. Le monde est constitué d’une multitude de surplis, un multiplex de dimensions à l’œuvre à chaque instant. La fin du monde est donc « présente partout, toujours, sous une forme qu’on nommera ‘potentielle’, et elle s’actualisera lors d’un moment ineffable, car hors du temps lui-même puisqu’elle le clôturera aux limites de l’infini. »[33] Il faut lire les ouvrages de Besarab Nicolescu, tel que Nous, la particule et le monde, pour se convaincre que cette approche, qui intègre la théorie du big bang mais sans l’absolutiser, dispose de nombreux partisans parmi les astro-physiciens contemporains.[34]

Dantec puise également à la cosmologie de l’Ecole des astro-physiciens de Princeton (Jeremiah P. Ostriker, Paul J. Steinhardt, Robert Caldwell, etc…)[35], à la théorie des cordes, de la supersymétrie et du Bootstrap, pour présenter sa propre théorie du facteur anthropique comme processus d’auto-développement de l’univers. Ces savants rappellent dans leur théorie du Quintessential Universe que l’Univers est composé à 70% d’énergie sombre (non régie par la loi de la gravitation), 26% de matière sombre, et seulement 0,5% de matière ‘ordinaire’ visible. Dans cette approche, le cosmos « n’est pas un ‘réceptacle’ passif dans lequel sont suspendus des ‘objets’ sphériques, vaguement tournants et gravitant les uns autour des autres dans le mouvement intangible des lois universelles de l’abstraction (…) Le cosmos est un méta-système d’information, un espace-temps multi-dimensionnel à dix voire onze dimensions.[36]

C’est pourquoi, de façon analogue, Dantec se gausse des généticiens qui ne s’acharnent qu’à décoder l’ARN et négligent le ‘Junk DNA’, « méta-ordinateur quantique relié à toute l’information de l’univers ». De la même façon que le cosmos n’a pas de sens sans son énergie sombre, le code génétique pour lui n’est pas un ‘code’, mais la méta-forme de la vie.[37] « L’ADN est mutable, écrit Dantec, de nombreux gènes sont mobiles, on les appelle ‘transposons’. Dans le Junk-DNA de nombreux transposons viennent en fait d’une rétro-transcriptase ARN, c'est-à-dire de l’introjection d’informations génétiques en provenance de l’extérieur. »[38]

Dès lors nos vies ne sont pas réglées par le hasard comme l’affirmait le biologiste Jacques Monod, ni par un Dieu mécanicien qui passerait son temps à regarder ses jouets et à les remonter, comme la pensée de Newton l’a cru. « Nos vies sont réglées par nous-mêmes, et de cela il nous est précisément tenu compte, au sens strict, au moment où la conscience se ‘sépare du corps’ mais en fait pour s’y réunir, sous une autre forme, un autre plan d’énergie quantique. »[39] Ebauche de l’anthropologia gloriae dont on se remet à parler dans les souterrains de France...[40]

Dans cette vision nuptiale de la création on trouve enfin la réponse à la représentation néo-darwinienne de l’évolution dont la principale caractéristique est de distinguer radicalement la vie de la conscience de celle des gènes. Richard Dawkins, biologiste éminent, est le représentant de ce courant ultra-moderne de la biologie agnostique voire athée. Le savant britannique a même mis au point en 1976 la thèse du gène égoïste dont l’axiome principal est le suivant : Les individus sont des artifices que les gènes ont inventés pour se reproduire.[41] Si les organismes vivants sont les machines de survie des gènes, la sexualité devient le principe des principes permettant de reformuler la classification des espèces.

Mais au même titre que Michel Foucault avait relié ensemble dans sa vaste épistémologie du savoir moderne les opérations du classement, de l’échange, du discours et de la représentation,[42] l’archéologie du savoir de l’époque œcuménique bouleversera ensemble ces 4 modes d’intelligence. Dès la fin du XIXe siècle Vladimir Soloviev avait préparé son avènement. Il avait critiqué à la fois, et sur la même base sapientielle, les bases de la philosophie kantienne, l’économie politique de Karl Marx, les thèses esthétiques de Tchernychevski, et la théorie de l’évolution de Darwin. Pour Soloviev, le sens de l’amour sexuel ne réside pas dans la reproduction de l’espèce, mais dans la constitution d’un « organisme supérieur »[43]. Ce n’est pas la sexualité qui doit être pour les anthropologues la source de la classification, mais la capacité à aimer. On retrouve ici le paradigme de l’amour, célébré aujourd’hui par Benoît XVI, Jean-Luc Marion ou Christos Yannaras, comme basculement de la post-modernité à l’âge oecuménique. Cette aptitude ou ce rejet de l’amour peut prendre différentes formes, sur le plan des organismes génétiques, de la mutation à la sélection ou à la migration.[44] On se rapproche ici de ce que Bulgakov avait en vue lorsqu’il comprenait la Sagesse de Dieu comme une conscience non hypostatique, capable d’aimer, sans pour autant être doté de la conscience de soi hypostatique. Son principal argument face aux attaques de tous les zélotes de la norme, hostiles à la notion de conscience non personnelle, était de recommander la lecture du livre des Psaumes, particulièrement ceux qui rappellent que toute la création loue le Seigneur.[45]

Pour Dantec, autre héritier de Soloviev, le phénomène de rétro-transcriptase de nos gènes (le retour de l’ARN vers l’ADN, c'est-à-dire du code vers sa source) doit être compris comme un phénomène de mort et de cheminement vers la résurrection. Dans Villa Vortex il détaille l’action des rétro-transposons. « Car le rétro-transposon – médiateur du code – subissait lui aussi le ‘burst transpositionnel’, et dans cette double hélice de la vie et de la mort, du temps et de l’éternité, de l’entropie et du destin, une mémoire absolue, cosmogonique, éternelle et infiniment physique surgissait et glorifiait alors qu’elle quittait, comme un troisième terme qui abolirait en les synthétisant toutes les précédentes dialectiques entre corps et esprit, puisque le corps était la lumière de l’esprit, comme l’esprit était la lumière du corps. »[46] Et la résurrection du Christ est certes l’œuvre de l’amour trinitaire, mais elle peut être comprise biologiquement comme « une illumination par burst retro-transpositionnel général »[47]. On pense à l’œuvre de Nikolai Fiodorov, ce bibliothécaire génial de Saint Pétersbourg que venaient voir Dostoievski, Soloviev et Tolstoï, et qui rappelait à temps et à contre-temps que le Christ a donné aussi aux hommes le pouvoir de ressusciter les morts.

Quant à la Dormition de la Vierge, elle est présentée dans Cosmos incorporated comme « une élévation métamorphique du corps-esprit qui peu à peu, devient lui-même Lumière, en tant non pas que pur ‘esprit’ mais corps-esprit surphysique, comme Corps Glorieux, là où Chair et Lumière sont à la fois unies et disjointes, comme les natures divine et humaine du Christ. »[48] Il y a ici une reprise des intuitions les plus profondes de la sophiologie russe. Le Buisson ardent du père Serge Boulgakov, traité théologique dédié à la Vierge Marie et fondé sur l’interprétation icônique de la Vierge en tant que Sagesse de Dieu, trouve dans l’œuvre de Dantec son équivalent littéraire.[49]

Dantec, qui a lu le livre du Zohar mais aussi les travaux du Centre International de Recherches et d’Etudes Transdisciplinaires (CIRET), s’inspire de théories mathématiques récentes « qui s’entendent sur un univers à dix dimensions plus un ‘univers-interface’, onzième dimension qui se meut à leur (dis)jonctions »[50]. Pour Dantec, il s’agit là des dix séphiroths de l’arbre kabbalistique. C’est pourquoi il réhabilite la Kabbale (tout comme Annick de Souzenelle)[51] et avec elle de grands kabbalistes chrétiens comme l’alchimiste Pic de la Mirandole et l’astro-physicien Giordano Bruno. Dans Villa Vortex, il écrit : « l’arbre des Séphirots c’était donc l’homme réuni, l’homme intégral, l’homme auquel Nietzsche avait rêvé. La Couronne suprême Kether, celle par qui l’En-Sof, principe inconnaissable de YHVH, prenait corps dans l’Univers (et dans l’Homme ce Multivers vivant), évoluait en forme de spirale, voire, pour certaines illustrations plus complètes, en forme de double spirale. Une spirale partait du cerveau de l’Adam Kadmon pour rejoindre le feu pur de l’inconnaissable, sa figure corrélative descendait du feu pur de l’inconnaissable pour s’incarner, via son cortex cérébral, dans la créature de Dieu. »[52]

Dantec distingue le corps, organisé selon le corps glorieux trinitaire, de l’organisme qui actualise le Je métabiologique. « Les deux cerveaux gauche et droit reproduisent sur le plan organique la mystérieuse complexité de la Tri-unité, basée sur le surpassement du dualisme : les deux cerveaux n’en forment qu’un et pourtant ils sont trois. »[53] Il convient de compléter probablement cette anthropologie par une théo-poétique du corps comme le recommande Olivier Clément. Car toute la tradition hésychaste le dit : sans jeûne, ni prière il n’y a aucun moyen de se libérer des passions de l’âme. « La distance entre le ‘causal’ et le ‘symbolique’, entre l’étant et le sens, est celle-là même du jeûne. Du regard vorace sur une pomme à la bouche broyeuse il n’y a qu’un instant. Du regard attentif à la pomme peinte par Cézanne, il y a l’ouverture au mystère. Du regard approfondi par la prière à la même pomme, il y a transformation du mystère en rencontre avec le Souffle donateur de vie et de beauté. Le jeûne comme attitude globale favorise la révolution copernicienne de la métanoïa : chaque créature perçue comme une parole du Créateur, s’ouvre sur l’infini. »[54]

Dès lors on comprend pourquoi toute l’œuvre de Dantec est parsemée de présences angéliques (Vivian Mc Nellis, Lucy Skybridge, Métatron), tantôt célestes, tantôt déchues, un peu comme dans les films de Wim Wenders. Il y a aussi une temporalité spécifiquement angélique, l’aevum, « ce Temps créé mais infini », « discret, non continu », que Dantec trouve chez saint Thomas et saint Bonaventure. La voix qu’entend Plotkine à l’hôtel Laïka lui révèle même la nature profonde des chérubins et des séraphins : « Nous les anges, nous sommes la technologie de Dieu. Créés mais infinis, notre temps est bien celui de la Monade, nous sommes la boîte noire de Dieu, car cônes d’induction cognitive, intellects-agents ni séparés ni simples extensions de l’Unique, mais toujours synthétiquement disjoints à Lui, nous sommes fermés/ouverts, nous sommes des champs quantiques dont l’individuation n’émerge qu’à la coupure de toutes les coupures, comme dans le point pivotal de notre temps machine, là où tout est nombre, là où tout est code, là où tout paradoxalement, devient présence manifeste. »[55]

                                                       


La synthèse doxologique rock de Maurice Dantec


Maurice G. Dantec, amateur des Pink Floyd, Roxy Music et de Björk, héritier du renouveau de la pensée chrétienne contemporaine, tente une synthèse musicale entre Duns Scot et la pensée contemporaine : Seule la Voix, la Parole en acte, le Chant électrique, est capable selon lui de combattre la dévolution du Logos par le prince de ce monde.

Dantec est un amateur du rock pur, du rock considéré comme style de vie, et non comme l’un des véhicules de la société de consommation. Il a été bercé dans les années 60 par James Brown et John Lennon, Bob Dylan et Barbara. Il a suivi les méandres de l’Internationale Situationiste, lu Reich, Mao et Marcuse. Il a fréquenté enfant une « communauté post-hippie Mao dure à cuire mais tendance anti psychanalyse ».[56] Au début des années 70, alors que toute sa classe écoute Joan Baez et Simon and Garfunkel, lui se démarque en écoutant Led Zeppelin, David Bowie, les Beatles, les Who, et en lisant Henri Michaux, Rimbaud et Edgar Poe. C’est à ce moment-là, lorsque la guerre froide aurait pu se transformer en nouvelle conflagration atomique planétaire, que Dantec lit Nietzsche et commence sa consommation de haschich et de LSD. Puis il a été punk dans les années 1977-80 (Sex pistols et Clash côté musique, Burroughs et Lautréamont côté livres) contre la contre-culture hippie. Mais il s’est très vite éloigné d’un courant récupéré très tôt par « les néo-bourgeois post-babas » préférant Téléphone aux Dogs. Il entre alors dans une période nihiliste et se détruit la santé à force drogues et hallucinogènes en écoutant Stan Ridgway (The Big Heat).

Survient alors un « baptême de feu » sur lequel Dantec reste pudique, événement personnel et intime qui le conduira lentement à demander à l’Eglise la matérialisation par l’eau et par l’huile de sa rencontre avec le Christ. Il a été ému également par la mort de son père qu’il a vu réduit en une petite urne de cendres. Lors de ses adieux avec son père au cimetière il esquisse une prière : « Mon signe de croix s’est très étrangement, et dans la simplissime fluidité des actions de grâce, terminé par ce geste des musulmans qui font se rejoindre le cœur et la bouche, en signe de reconnaissance envers l’Amour dont le Verbe nous a doté. »[57]

Dantec dût alors franchir de nouveaux obstacles. Il faut lire les pages de ce chercheur de Dieu racontant ses nuits à écouter l’album Whore de Dalbello qui chante « Don’t save my soul, Don’t raise my hope ». Grâce à Dalbello, Björk, PJ Harvey, Annie Lennox, femmes-elfes, Dantec voit l’émergence d’une nouvelle créativité musicale dans le rock contemporain, dernier espoir face à l’avalanche de musiques décadentes telles que la « techno décérébrante », la « house métronomique » et le « rap gangstérisé ». Dantec est conscient que devenir chrétien n’est pas se mouler dans un sac de certitudes portées par d’autres. « Sa présence, écrit-il à propos du Christ, demande le sacrifice de l’âme humaine, de sa ‘conscience’, dirions nous aujourd’hui, en échange d’une véridique Connaissance sur nos devenirs cosmobiologiques. (…) il ne peut  y avoir Annonciation sans Résurrection, il ne peut y avoir Vérité sans Amour. »[58]

L’écoute des albums d’Oasis, de Primal Scream, de U2 lui fait dire que cinquante après sa naissance le rock n’ roll est mort, tout comme la révolution permanente issue des grandes secousses existentielles du XXe siècle. Pourtant le « I begin to wonder » de Dani Minogue pousse Dantec à formuler cette nouvelle prière : « Ouvrez votre cœur sacré, Seigneur, je vous prie, à ces êtres plus tout à fait terrestres, qui par la violence de leur authentique sensualité et la grâce d’une beauté qu’on devine plus qu’humaine (…) peuvent redonner à nos existences l’impression si sublime, si indicible, qu’elles sont bien une vie, ah oui, Vous qui régnez sur tout ce qui en nous peut nous rapprocher d’une véritable émotion, prenez sous votre aile de colombe ces femmes nuits-blanches… »[59]

Dantec a pris alors conscience de l’intuition qui le conduisait depuis ses premiers albums de Jimi Hendrix : « En Amérique, le verbe s’est électrifié (…) le Verbe se dédouble dans l’Electricité, elle-même face provisoire que prend notre rapport avec les PHENOMENES qui émergent du méta-événement toujours renouvelé, toujours en état d’advenir. »[60] Comme si la matière trouvait une extase dans la gerbe électrique (Hello). De cette prise de conscience naîtra la trame de son roman Grande Jonction. La Matrice, vaincue grâce à l’amour et au baptême du héros dans Cosmos incorporated, renaît de ses cendres en s’attaquant au langage et aux nombres. Cette fois-ci, ce sera la musique électrique d’un enfant, Link de Nova, sorte de fol en Christ des temps apocalyptiques, qui rendra possible le salut, la victoire sur la numérisation absolue, par le saut quantique qu’elle induit, le Bootstrap.

Ceci est compréhensible selon Dantec si l’on retrouve la profondeur de la pensée de Duns Scot et de son principe d’individuation. Ce principe nous permet « de rester des Images du processus même de la Création divine », des monades situées sur des « lignes de synthèse disjonctive » interfacées aux autres plans de l’Etre. Dantec distingue Duns Scot des nominalistes. Il s’agit là d’une vue que ne partageait pas le théologien catholique Marie Joseph Le Guillou. Ce dernier écrivait dans Le Mystère du Père : « En plaçant la liberté inconditionnée comme identique à l’essence divine, Duns Scot a automatiquement extériorisé la création par rapport au Créateur, dont elle ne révèle pas les perfections de ce qu’Il est mais de ce qu’Il veut. »[61] Le père Serge Bulgakov remontait quant à lui à saint Thomas d’Aquin pour situer la limite de la sophiologie occidentale : sa trop grande dépendance à l’égard de la définition aristotélicienne et panthéiste de la relation entre Dieu et le monde.[62]

La philosophie du nom de Dantec est bien plus convaincante en revanche : « En acquérant le pouvoir de Nommer, l’homme devient capable de séparer les êtres de leur être, il devient capable de les anéantir en tant qu’êtres, pour les faire renaître à l’infini, et plus précisément encore pour détruire ce qui dans leur être fait vivre la mort, ce qui s’obstine à vivre dans l’ignorance, la discontinuité partielle, entropique et l’illusion. »[63] De même Dantec rejoint Florensky et les sophiologues russes lorsqu’il s’appuie sur la pensée du mathématicen allemand d’origine russe Cantor qui chercha à mettre en relation les intuitions de Scot : « Ce sont les ensembles infinis qu’on peut définir par une propriété positive, les ensembles finis ne pouvant se définir que par la privation de cette propriété fondamentale. Ainsi l’individuation n’est pas le résultat d’une action ‘accidentelle’, isolée dans le temps et l’espace, et surtout pas réitérée indéfiniment, sur le mode de la discontinuité numérique, mais un processus infiniment dynamique, un processus non déterminé, échappant toujours au piège de la logique numérique du faux infini, nominaliste ou aristotélicien, et qui, au contraire, détermine la nature commune de l’humanité. Plus encore c’est par sa Liberté, individuation de la Liberté divine, que l’Homme donne au monde créé sa réelle détermination. »[64] Si la structure profonde du vivant est liberté, et surtout si l’homme en prend conscience, alors la rencontre des deux Sagesses créée et incréée, ne peut pas ne pas se produire.

Il faut lire le 21e chapître de l’Apocalypse en écoutant « I saved the world today » d’Eurythmics.


Conclusion

Dantec fut un lecteur attentif de la littérature russe, et plus particulièrement des « mousquetaires cosaques de l’anti socialisme, Berdiaev, Chestov, Soloviev, Leontiev ».[65] Les héros de ses romans s’appellent Youri ou Plotkine et viennent de Sibérie. Enfant il a appris le russe en première langue (héritage paternel), admiré le Andrei Roubliov de Tarkovski, lu les contes des princes de Kiev, Pouchkine et Tolstoï. Adulte il a eu une fascination pour le christianisme oriental au point d’avoir été tenté de demander le baptême dans l’Eglise orthodoxe[66] puis dans l’Eglise catholique orientale (maronite). Il a voyagé dans les pays de l’Est et jusqu’en URSS.

Lorsque se déroule la révolution orange en Ukraine il s’enthousiasme. Très vite cependant le tsunami de Noël 2004, relayé par les médias de l’UniMonde Uni, détournera l’attention du monde de la Révolution de l’Esprit qui se produisit sur la place Maidan au cours de l’hiver 2004. Emporté une nouvelle fois par sa plume de polémiste, Dantec ira même jusqu’à croire que les peuples de l’Est ne veulent pas de l’Union Européenne.[67]

Or les Ukrainiens se définissent bien comme Européens et souhaitent intégrer dans leur très grande majorité une communauté politique qui a su, malgré tout ce qu’on peut lui reprocher, générer depuis 60 ans, de la paix, de la prospérité, et du respect pour les droits de l’homme. Ils l’ont prouvé en 2014 lorsqu’ils ont combattu une nouvelle fois sur la place Maïdan de Kiev contre le régime néo-soviétique et corrompu de Victor Yanoukovytch et pour la signature du traité qui les associait à l’Union européenne.

Je n’ai pas eu le temps de convaincre Maurice G. Dantec que la formation de l’Etat-nation ukrainien était une avancée de la civilisation en Europe. Aujourd’hui, je le regrette et je pleure le départ de ce grand écrivain. Mais, en imaginant son entrée au ciel, je me réjouis aussi de la fin de ses souffrances physiques. Et de sa participation lumineuse au grand banquet rock du Royaume qui vient…


Antoine Arjakovsky, le 28.06.2016





[1] Parmi ses principaux ouvrages on recommandera ses journaux comme Le théâtre des opérations en 3 volumes (2000, 2001 chez Gallimard, American Black Box, 2007 chez Albin Michel) et ses romans : Les racines du mal (1995, Gallimard), Babylon Babies (1999, Gallimard), Villa Vortex (2003, Gallimard), Cosmos incorporated (2005, Albin Michel), Grande Jonction (2006, Albin Michel), Artefact (2007, Albin Michel), etc…. Son dernier ouvrage Les Résidents est paru en 2014 chez Inculte (en 2016 chez Actes Sud).
[2] Il tempère aussi l’illusion que, à l’époque des départements marketings surpuissants des maisons d’édition, ce serait les lecteurs qui comme autrefois feraient les auteurs…
[3] Dantec, Laboratoire 2, op. cit., p. 41.
[4] Dantec, Laboratoire 3, op. cit., p. 50.
[5] Artefact, op. cit., p. 308.
[6] Charles Taylor, Le malaise de la modernité, Paris, Cerf, 2002.
[7] M.G. Dantec, Laboratoire de catastrophe générale, Paris, Gallimard, 2001, épigraphe de P. Dick.
[8] Ibid, p. 58-59.
[9]  Il faut dire que réciproquement seuls quelques auteurs comme Jean-François Revel ou Philippe Muray ont trouvé grâce à ses yeux.
[10] John Milbank, ‘Paul against Biopolitics’, conférence prononcée lors du colloque de l’Institut d’études œcuméniques de Lviv, UCU, sur le mouvement Radical Orthodoxy. Cf www.ecumenicalstudies.org.ua
[11] Dantec, Laboratoire 2, p. 183.
[12] Ibid, p. 265.
[13] Laboratoire 3, p. 34.
[14] Adrian Pabst, Olivier Thomas Venard, Radical Orthodoxy, Pour une révolution théologique, Genève, Ad Solem, 2004
[15] American Black Box, op. cit., p. 106. Cf p. 120, p. 158, p. 165, p. 188 aussi.
[16] Mireille Delmas-Marty, ‘Construire les conditions d’un droit universel’ dans le chap. 14. ‘A la recherche d’une gouvernance mondiale’, Sortir de l’économisme, sous la direction de Philippe Merlant, Paris, Ed. de l’Atelier, 2003, p. 195.
[17] Delmas Marty, op. cit., p. 198.
[18] Olivier Clément, Rome autrement, Paris, DDB, 1997, p. 120 ; Rowan Williams, Icônes perdues, Paris, Cerf, 2005 ; cardinal Joseph Ratzinguer, L’Unique alliance de Dieu, Paris, Parole et Silence, 1999.
[19] Légèrement nuancé dans American Black Box, op. cit., p. 160. Pour Dantec l’islam reste cependant une hérésie chrétienne qui n’a pas de sens historique. Il envisage pourtant une alliance possible entre chrétiens et musulmans contre l’intégrisme islamiste et les divers nationaux socialismes. (Laboratoire 2, p. 549)
[20] Artefact, op. cit., p. 521.
[21] American Black Box, op. cit., p. 167.
[22] American, op. cit., p. 470.
[23] Laboratoire 2, p. 518
[24] Laboratoire 2, op. cit.,  p. 453.
[25] American, op. cit., p. 283.
[26] Ibid, p. 398.
[27] Barbara Cassin a démonté la logique missionnaire et manichéenne de l’entreprise Google et qui aboutit à une ‘démocratie des clics’ et à un déni de toute responsabilité : « Notre mission est d’organiser toute l’information dans le monde » et « Ne sois pas méchant ». Barbara Cassin, Google-moi, Paris, Albin Michel, 2007.
[28] Villa Vortex, op. cit., p. 419.
[29] Laboratoire 2, op. cit., p. 271.
[30] Laboratoire 2, p. 318.
[31] Ibid, p. 797.
[32] R. Williams, Icônes perdues, Paris, Cerf, 2005, p.250
[33] Vers le Nord du Ciel, op. cit., p. 125.
[34] Basarab Nicolescu, Nous, la particule et le monde, Paris, Editions du Rocher, 2002.
[35] Jeremiah P. Ostriker et Paul J. Steinhardt, « The Quintessential Universe », Scientific American, jan. 2001.
[36] Laboratoire 2, op. cit., pp. 768-769.
[37] American Black Box, op. cit., p. 259.
[38] Cosmos, op. cit., p. 455.
[39] American Black Box, op. cit., p. 79.
[40] Jean-Yves Lacoste, Expérience et Absolu, Paris, PUF, 1994, p. 233.
[41] Richard Dawkins, Le gène égoïste, Paris, Armand Colin, 1990 (1976).
[42] Michel Foucault, Les mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966.
[43] Vladimir Soloviev, Le Sens de l’Amour, Paris, ŒIL, 1985, p. 18.
[44] Pierre Henri Gouyon, Jean-Pierre Henry, Jacques Arnould, Les avatars du gène, Paris, Belin, 1997, p. 196.
[45] Serge Boulgakov, La Sagesse de Dieu, Paris, L’Age d’Homme, 1990.
[46] Villa Vortex, op. cit., p. 511.
[47] Ibid, p. 109.
[48] Cosmos incorporated, op. cit., p. 289.
[49] Serge Boulgakov, Le Buisson Ardent, Paris, L’Age d’Homme, 1990.
[50] Ibid, p. 95. Le physicien Garrett Lisi travaille sur un univers à 8 dimensions. Cet américain a proposé en octobre 2007 une nouvelle théorie du tout associant la physique de la mécanique quantique avec l’astro-physique, la théorie de la gravitation régie par la théorie d’Einstein sur la relativité générale. Son approche est géométrique. On classe les objets physiques selon les symétries qui les caractérisent, via par exemple le groupe de Lie E8 qui inclut l’infiniment petit et l’infiniment grand. En connaissant toutes les symétries de la figure, on connaît toutes les équations de la théorie. Exit le vieux débat entre théorie des cordes et théorie des boucles. Toute la structure de notre univers se trouve dans un polyèdre de 8 dimensions et 240 sommets. Cette théorie est cependant vivement contestée par les milieux académiques.
[51] Annick de Souzenelle, Le symbolisme du corps humain, Paris, Albin Michel, 1991.
[52] Villa Vortex, op. cit., p. 421.
[53] Ibid, p. 133.
[54] Olivier Clément, Corps de mort et corps de gloire, Paris, DDB, 1995, p. 57
[55] Cosmos, op. cit., p. 295.
[56] American Black Box, op. cit., p. 195.
[57] Laboratoire 2, p. 523.
[58] Ibid, p. 727.
[59] American, op. cit., p. 397.
[60] American, op. cit., p. 505.
[61] M.J. Le Guillou, Le Mystère du Père, Paris, Cerf, 1973, p. 126.
[62] S. Bulgakov, L’Epouse de l’Agneau, Paris, L’Age d’Homme, 1984, p. 24.
[63] Villa Vortex, op. cit., p. 693.
[64] Grande Jonction, op. cit., p. 548.
[65] American Black Box, op. cit., p. 171
[66] Ibid, p. 190.
[67] American, op. cit, p. 578.